Derek Nighbor est président et chef de la direction de l’Association des produits forestiers du Canada (APFC)
Un éventail de nouvelles perspectives et d'obstacles se trouvent aux portes de nos deux pays alors que nous nous lançons dans la plus grande réalisation économique des deux prochaines décennies : la transition vers une économie à faibles émissions de carbone dans toute l'Amérique du Nord.
La visite du président Biden à Ottawa cette semaine nous rappelle que notre véritable force collective dans l’atteinte de la carboneutralité réside non seulement dans la gestion responsable de notre paysage naturel, mais aussi dans la façon dont nous collaborons pour atteindre des objectifs communs.
Les Canadiens et les Américains persévèrent dans une même quête d'opportunités pour les citoyens, de prospérité pour les entreprises et de respect de l'environnement à travers les générations et la géographie, de part et d'autre de la frontière.
Cette notion n'est jamais plus évidente que lorsque l'on examine notre commerce symbiotique dans le domaine des ressources naturelles. Selon le Bureau du recensement des États-Unis, 437 milliards de dollars de marchandises canadiennes sont entrés aux États-Unis en 2022 (dont près de 23 milliards de dollars de bois d'œuvre et de produits de bois d'ingénierie). Bien que les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis dans le domaine de la foresterie aient une longue histoire, l'importance d'un marché du bois intégré ne doit pas être sous-estimée.
Non seulement le Canada est le plus grand exportateur de bois d'œuvre résineux vers les États-Unis, mais au cours des dix dernières années, les États-Unis ont consommé en moyenne 38 % de plus de bois d'œuvre résineux qu'ils n'en produisaient annuellement, selon le rapport Lumber Quarterly Forecast de Forest Economic Advisors. Cela signifie que la demande américaine de bois d'œuvre dépasse largement ce que le secteur forestier américain peut produire. Cet écart devrait rester important au cours de la prochaine décennie, car les États-Unis se tournent vers des solutions de construction à faibles émissions de carbone et construisent davantage de logements abordables.
Or, au cours des huit derniers mois, les États-Unis ont adopté un nouveau plan national sur le climat qui est ambitieux sur le plan des politiques, qui comporte beaucoup d’incitatifs commerciaux et qui risque d'éroder la compétitivité de l'industrie canadienne, à moins que notre gouvernement ne prenne des mesures fermes comparables. La récente Reduction Act des États-Unis et les dispositions « Buy American » menacent la position du Canada en tant que partenaire commercial privilégié dans le domaine forestier et auront une incidence sur notre capacité à attirer de nouveaux investissements du secteur privé à l'échelle internationale.
L'évolution du contexte politique américain exige que nous suivions le rythme pour rester compétitifs ou pour faire face aux conséquences d'un retard.
Le gouvernement devrait d’abord profiter du budget fédéral de la semaine prochaine pour offrir aux entreprises canadiennes des crédits d'impôt et des subventions qui contribueront à accélérer la décarbonisation de l'industrie. Alors que le prix du carbone au Canada passera à 170 dollars la tonne d'ici 2030, notre approche réglementaire doit être souple afin de garantir que l'action fédérale en matière de climat favorise notre capacité à être concurrentiels sur la scène mondiale, et ne l'entrave pas.
L'administration Biden a également présenté récemment le Consolidated Appropriations Bill 2023, doté d’une enveloppe de 1700 milliards de dollars, qui qualifie la biomasse forestière - une puissante source d'énergie renouvelable qui convertit les déchets de bois comme la sciure, les branches et l'écorce en énergie et en combustibles - de carboneutre, et qui demande à toutes les agences américaines d'élaborer des lignes directrices pour en accroître l'utilisation dans leurs approvisionnements en énergie renouvelable.
Cette décision de M. Biden devrait inciter Ottawa à suivre son exemple et à investir dans l'ensemble de la chaîne de valeur de la sylviculture et des produits forestiers, et à promouvoir l'utilisation de la biomasse forestière pour contribuer à remplacer les combustibles fossiles et à compenser les émissions, en particulier si l'on tient compte du carbone absorbé au cours du cycle de croissance des arbres. La reconnaissance du potentiel de la biomasse forestière par M. Biden est une mesure prudente que nous devons imiter au Canada pour rattraper d'autres pays, notamment les États-Unis, la Finlande et la Suède, et saisir le potentiel du marché mondial de la biomasse forestière, qui représente plus de 250 milliards de dollars.
En ce qui concerne le commerce bilatéral, une autre tendance déconcertante apparaît de plus en plus clairement.
Au lieu de s'approvisionner au Canada pour combler leur déficit d'approvisionnement en bois d'œuvre, les États-Unis font appel aux importations européennes qui remplacent désormais le bois canadien en raison du conflit actuel entre le Canada et les États-Unis sur le bois d'œuvre résineux.
En 2022, les exportations étrangères de bois d'œuvre vers les États-Unis ont atteint leur niveau le plus élevé depuis 2004-2006, avec une augmentation des expéditions en provenance d'Allemagne et de Suède de 17 % et 27 % respectivement. En fait, les exportations européennes de bois d'œuvre vers les États-Unis ont plus que doublé depuis février 2021. Il convient de noter, alors que nous entrons dans la sixième année du conflit actuel sur le bois d'œuvre, que les États-Unis ne prélèvent aucun droit sur le bois européen importé.
Alors que le président Biden et le premier ministre Trudeau discutent de nos objectifs climatiques et économiques communs, ils devraient prendre en compte l'impact sur les gaz à effet de serre des expéditions transatlantiques de bois d'œuvre, car ce bois pourrait provenir de bien plus près du marché américain, d’ici même au Canada. En outre, le Canada abrite près de 40 % des territoires forestières certifiées durables dans le monde, alors que les pays susmentionnés en comptent moins de 10 %.
Entretemps, la sauvegarde des intérêts de la main-d'œuvre et des industries canadiennes doit rester une priorité absolue pour les législateurs canadiens et dépendra des mesures décisives que prendra notre gouvernement fédéral à court terme.
Ce n'est que grâce à des plans clairement définis que notre gouvernement peut s'assurer que les mesures réglementaires, stratégiques et financières sont mises en œuvre de manière coordonnée. Cela devrait inclure l'établissement de feuilles de route nationales pour les secteurs industriels clés comme la foresterie – pour fournir un cadre visant à accélérer les réductions des émissions de carbone, à soutenir et à développer les emplois canadiens et à libérer le potentiel de la foresterie pour faire plus en matière de conservation de la biodiversité, de réconciliation avec les peuples autochtones ainsi que d'atténuation des incendies de forêt catastrophiques et de leurs impacts sur les communautés.
L'examen du contexte plus large et de la nature interconnectée des relations entre le Canada et les États-Unis nous rappelle le rôle essentiel que l'innovation et la collaboration joueront pour façonner notre future économie verte, ainsi que la nécessité croissante, pour le Canada, de continuer à diversifier ses marchés d'exportation et ses produits.
En entretenant nos partenariats commerciaux et en mettant en œuvre des politiques judicieuses, nous pouvons construire un avenir plus durable sans sacrifier les possibilités de développement économique.
L'APFC offre une voix, au Canada et à l’étranger, aux producteurs canadiens de bois, de pâtes et de papiers pour les questions touchant le gouvernement, le commerce et l'environnement. Le secteur canadien des produits forestiers, dont les revenus annuels dépassent 72 milliards de dollars, est l'un des plus importants employeurs du pays. Il est présent dans des centaines de collectivités et procure 205 000 emplois directs et plus de 140 000 emplois indirects d’un océan à l’autre. Nos membres s'engagent à collaborer avec les dirigeants autochtones, les organismes gouvernementaux et d'autres intervenants clés pour élaborer un plan d'action pancanadien visant à améliorer la santé des forêts tout en soutenant les travailleurs, les collectivités et l’environnement à long terme.