Par Derek Nighbor et Rick Jeffery
Les Canadiens sont confrontés à un dilemme en matière de logement. Nous devons construire 5,8 millions de logements abordables d’ici 2030, soit le triple de notre capacité de construction actuelle. Alors que les chefs de partis et les électeurs de tout l’échiquier politique s’accordent sur l’importance de cette question, une solution efficace pouvant être rapidement mise en œuvre à grande échelle et d’une manière qui renforce la résilience climatique du Canada n’a pas encore vu le jour.
Ou peut-être que c'est le cas.
L'énigme du logement au Canada
Un Canadien sur cinq n’a pas accès à un logement abordable et le prix moyen des loyers a augmenté de 10 % depuis l’année dernière. Le logement abordable a pris une place centrale dans les discussions politiques, les libéraux de Trudeau ayant récemment introduit des initiatives telles que la suppression de la TPS sur les nouvelles constructions de logements locatifs et des investissements dans le Fonds pour accélérer la construction de logements, parmi d’autres mesures incitatives visant à stimuler le développement du logement.
Mais pour répondre à la demande de logements au Canada, il ne suffit pas de construire des logements abordables. La stratégie nationale pour le logement souligne que les logements doivent également être résilients au climat.
Lors d’une récente réunion du comité de la Chambre des communes, le ministre fédéral du Logement, Sean Fraser, a parlé de la possibilité pour la construction à base de bois de contribuer à la lutte contre les changements climatiques et à la construction rapide de logements. Fin septembre, un projet de loi fédéral sur l’approvisionnement en bois, le projet de loi S-222, a été adopté par un vote définitif de 326-0, ce qui témoigne d’un consensus clair à la Chambre des communes du Canada en faveur de l’adoption et de la promotion de matériaux de construction durables comme le bois.
Alors que les secteurs du béton et de l’acier continueront à jouer un rôle important, le projet de loi S-222 permet de s’assurer que le bois est envisagé dès le début de la conception des bâtiments et des décisions d’achat — et non pas après coup — en reconnaissant les innovations en matière de construction en bois, comme le bois massif.
Le potentiel inexploité des produits du bois canadiens
Les produits du bois canadiens — qu’il s’agisse de bois d’œuvre traditionnel ou de produits d’ingénierie légers comme le bois massif — offrent des matériaux de construction durables et à faible teneur en carbone qui stockent le carbone pendant toute la durée de vie d’une structure, réduisant ainsi son empreinte carbone.
Brock Commons, une résidence en bois massif de 18 étages et 400 étudiants de l'Université de Colombie-Britannique, stocke environ 1 753 tonnes de dioxyde de carbone dans sa structure en bois, tandis que l'ensemble du processus de construction a permis d'éviter 2 432 tonnes de dioxyde de carbone, ce qui équivaut à la suppression des émissions de 511 voitures par an. Par rapport à l'acier (>1,1 tonne de CO2 par tonne de bois) et au ciment (0,9 tonne de CO2), l'empreinte carbone du bois de construction canadien est respectivement inférieure de 72 % et de 66 %.
Le bois peut être un matériau qui change la donne dans les efforts de décarbonisation du Canada.
Construire en bois permet également aux promoteurs de réaliser d’importantes économies et de gagner en efficacité, grâce aux éléments préfabriqués qui réduisent les déchets, le bruit et les besoins en main-d’œuvre sur le chantier. Pensez aux blocs Lego : les éléments préfabriqués en bois sont rapidement assemblés sur le site, ce qui accélère la construction et réduit les coûts de logement.
L’immeuble de bureaux T3 de Minneapolis a été construit en seulement 9,5 semaines, alors qu’un bâtiment standard prendrait entre 18 à 24 mois. Une famille de la Première nation de Liard, au Yukon, a construit 15 maisons en bois en 15 jours, dépassant de loin la construction traditionnelle sans compromettre la sécurité.
Le secteur forestier est bien placé pour contribuer à la mise à l’échelle de cette solution dans tout le pays, compte tenu de la richesse de nos ressources forestières et du savoir-faire canadien.
Le bois massif présente de très fortes caractéristiques de résistance au feu et aux tremblements de terre, offrant de meilleurs résultats en matière de sécurité et de durabilité que d’autres matériaux de construction courants. En positionnant le secteur forestier comme un fournisseur de solutions climatiques fondées sur la nature, la construction en bois peut également attirer de jeunes talents axés sur le développement durable.
Pouvons-nous le construire ? Oui, nous le pouvons
L’Institut pour l’intélliProspérité estime que pour répondre aux besoins en logement du Canada en 2030, il faudrait 18,8 milliards de pieds-planches de bois d’œuvre, soit 79 % de la capacité de production annuelle actuelle du Canada.
Alors que notre capacité à construire en bois a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie, le Canada peut poursuivre sur cette lancée en supprimant les obstacles au développement et en stimulant l’innovation dans le domaine des produits du bois.
La première étape devrait consister à faire savoir publiquement que le gouvernement fédéral appuie les solutions de logement en bois, par exemple par le biais d’une stratégie fédérale en matière de logement abordable. En Finlande, un appui fédéral clair a conduit à une expansion rapide de la construction en bois massif, tandis qu’aux États-Unis, la Inflation Reduction Act des États-Unis (loi sur la réduction de l’inflation) et la subvention pour les innovations dans le domaine du bois ont permis au marché du bois massif de croître de 30 % par an.
Nous savons également que les processus de délivrance de permis ralentissent la construction et créent des charges administratives pour les promoteurs, tandis que les urbanistes municipaux qui exécutent ces processus de délivrance de permis manquent d’expérience en matière de techniques de construction en bois. Un cadre réglementaire harmonisé au niveau national, associé à un ensemble de typologies de bâtiments certifiés au niveau national pour les structures en bois qui répondent à des normes spécifiques communes aux municipalités canadiennes, permettrait d’améliorer l’efficacité des processus de délivrance de permis et d’accélérer la construction de logements.
Pour s’assurer de l’adhésion des promoteurs et pour compléter les initiatives fédérales telles que le remboursement de la TPS récemment annoncé, le gouvernement devrait envisager de récompenser les promoteurs qui s’engagent en faveur des avantages du bois récolté pour le climat. Des mesures incitatives telles que des crédits d’impôt, des subventions ou des procédures de délivrance de permis uniques pour les typologies de bâtiments précertifiés pourraient contribuer à accélérer la construction.
Enfin, le Canada aura besoin de milliers de travailleurs qualifiés ayant des connaissances et de l’expérience dans le travail du bois pour construire des logements résilients au climat et abordables. Les programmes d’éducation et de formation traditionnels n’ont pas de programme standardisé sur les bâtiments verts, ce qui fait que de nombreux diplômés n’ont pas les compétences nécessaires pour construire avec du bois. En outre, les populations éloignées — en particulier les communautés autochtones — se heurtent à des obstacles plus importants pour poursuivre les études supérieures nécessaires à la construction en bois, bien que le secteur forestier emploie 12 000 personnes des Premières Nations, Métis et Inuits et des centaines de communautés tributaires de la forêt.
Le gouvernement fédéral pourrait contribuer à remédier à la pénurie de main-d’œuvre en développant des initiatives d’apprentissage par l’expérience, en renforçant le soutien à l’enseignement coopératif, aux stages, aux apprentissages et aux mentorats avec des praticiens de la construction verte.
Les Canadiens peuvent se tourner vers les solutions qui se trouvent dans leur propre cour — nos forêts — pour résoudre notre crise du logement de manière abordable et durable. Le secteur forestier canadien peut offrir des solutions rapides, économiques et résilientes au climat, renforcées par l’action du gouvernement fédéral pour aider à débloquer l’ensemble des avantages environnementaux, économiques et sociaux associés aux produits du bois récoltés.
Derek Nighbor est président et chef de la direction de l’Association des produits forestiers du Canada (APFC) et Rick Jeffery est président et chef de la direction du Conseil canadien du bois (CCB).